Par Paul Edel
10 janvier 2010
Pourquoi Serge Doubrovsky a-t-il inventé ce terme ?
Autofiction
Il le dit bien dans le prière d’insérer de son roman “Fils”
C’est qu’il considère “l’autobiographie” comme un “beau style”, donc périmé, comme l’a constaté l’intelligent Robbe grillet.
Voilà ce qu’il dit Serge Doubrovsky :
“Autobiographie ? Non, c’est un privilège réservé aux importants de ce monde, au soir de leur vie, et dans un beau style” et là on se demande s’il ne confond pas l’autobiographie avec “la vie des hommes illustres ” de Plutarque.
En fait, il refuse le caractère exemplaire, le coté “vie exemplaire” de l’autobiographie. Ce n’est qu'avec une visée pédagogique… un aspect parmi d’autres de l’autobiographie.
Il réduit le genre autobiographique à une fabrication d’un beau mensonge ; et d’une “belle forme”, bref de la littérature au sens péjoratif. Ce qui est intéressant, en revanche, chez Doubrovsky c’est que l’autofiction, selon lui, libère l’écriture autobiographique en incluant l’association libre dans la cure psychanalytique. Et là ça devient intéressant, car on sait que sous l’apparent désordre de la parole, on retrouve le sujet profond dans ses fantasmes et ses conflits, bref une carte d’identité plus complète.
Tout le problème, c’est que ça met alors le lecteur en position d’analyste. Veut-il se dépatouiller et démêler cette exploration du moi de l'auteur.
Il doit faire lui même le tri (ce qui s’est passé avec les lecteurs de Gallimard qui ont fait un tri dans les papiers de Doubrovsky pour le rendre publiable.) On voit bien dans l’autofiction de Serge Doubrovsky que l’écriture associative fonctionne à plein. Simplement le lecteur ne sait pas trop quoi faire de ce “fatras”.
Autre aspect interessant c’est que Serge Doubrovsky revendique l’autofiction comme un genre infra-littéraire. Après avoir fait le procès de la mise en forme littéraire (de qu’il appelle “le beau style”) Serge Doubrovsky joue sur la spontanéité, c’est au fond une forme de démocratisation du JE et un refus de la mise en Forme disciplinée.
Christine Angot a bien compris le message ; elle dit “j’associe ce qui n’associe pas” et elle ose parler de « l’inceste » sans nous dire d’ailleurs s’il y a fantasme, verité, fiction et il y a visiblement la pratique d’une écriture “libérée” aussi ambiguë que le murmure sur le divan, dans la pénombre, (ce qui nous ramène d’ailleurs au début de ”la recherche du temps perdu” qui se présente comme une parole née entre veille et sommeil, on approche du psy.) Nouvelle écriture débarrassée du souci d’une forme littéraire contrôlée.
Bien.
Atteint -t-on alors une vérité puis précise, pus profonde, de vie brut de décoffrage ?
On a pu atteindre à une certaine poésie avec l’écriture automatique des surréalistes. Au fond, l’autofiction apparait comme un roman du JE sans contrainte stylistique et sans contrainte d’une morale sociale. La libido s’ouvre un champ magnifique ; elle croit s’y ébatrre. Mais ce n’est pas ce qui se passe, ce n’est pas ce qu’on lit, mais plutot une enfilade d’abimes et une collection d’angoisses qui s’entortillent et se répètent inlassablement. En fait, il apparait que le MOI conscient, si blessé après Freud, et l’épouvante de deux guerres mondiales se définit comme actuel un Moi malade. L'autofiction est son remède avec l’aide de Freud, sa cure.
Arrive Céline. Et chose capitale, entre les deux guerres. Il a eu l’oeuvante de la première et il voit la hantise de la seconde, alors il travaille sur ce “Moi” de l’épouvante. Coup de genie. Second coup de génie : le beau style ne disparait pas mais devient celui de l’argot populaire. Enfin Céline obsédé de l’historique fait parler et libère sur le Moi de l’Hystérie.
Celine est au fond et en partie un superbe auto fictif qui a déblayé le terrain. Son style hanté, apeuré, nomme et répète le “ça” de la PEUR collective de l’homme contemporain. Blessé, éparpillé, hanté, écrabouillé, agonisant. L’identité se perd dans l’armée et devant la mort. Mais grace au travail sur le style (il se réclame de Retz et de madame de Sévigné) il apparait dans toute sa splendeur. Oui, là, Celine est capital. Le « moi » si classique, si noble de la belle littérature Gide essaie de le ranimer. En vain. Ça n’est pas un hasard si c’est un médecin qui fait la revolution, lui qui ne vit que des corps à soigner de Gide et fait rigoler Celine ; (voir “les entretiens avec le professeur Y.”) le Moi traditionnel de la Littérature s’est ratatiné, exactement comme le personnage romanesque lui même se ratatine après le passage de Celine. le “poids du monde” a écrabouillé quelque chose dans l’Occident aprés 2 guerres mondiales. Le surréalisme et Celine en tiennent compte.
D’où la bonne question que nous pose l’autofiction ; mais Serge Doubrovsky et Angot donnent une réponse littéraire peu convaincante. Chez Serge Doubrovsky, elle prend la forme d’une autofiction qui tourne à l’autopunition et à une certaine mégalomanie. Et Angot finit dans la peapolisation. Interessant aussi l’effort du Nouveau Roman à apporter une réponse. Et ce n’est pas un hasard si le chef-d’oeuvre de Claude Simon « la route des Flandres » l’engluement du moi dans un on anonyme pour raconter la défaite de quarante et la fin de la culture humaniste et de sa bonne conscience.
Revenons à l’autofictif pur.
“Retaper le” Moi blessé. L’auteur propose de fictionnaliser son JE. L’auteur devient son personnage. Il contient, comme dans les pièces de Shakespeare, son Fou, et son Bouffon, avec avec toutes les libertés possibles et aussi du comique mégalo liberatoire.
Angot le dit bien, quand elle parle d’elle même au TU “ton écriture est tellement incroyable, intelligente, confuse, mais toujours lumineuse accessible, directe, phsyique”. Elle reprend à la fois le vertige narcissique de Duras, et la glorification littéraire, vieille histoire depuis les Romantiques. Elle le fait délibérément pour se libérer de l’autocensure. On constate alors l’imprtance du mot « écriture », défoulatoire.
Emergence du mot “écriture”, le “ça” de l’écriture. Ça s’écrit sous la dictée de l’impulsion. Ça parle. Parole durassienne. Ça parle. Ça cause ; Ça bavarde ça s’écoule sans les filtres rationnels et aussi l’essai de reconquête d’un MOI, rafistolé qui retrouve un peu de consistance. Je précise que ceux qui s’intéressent à ce surgissment autofictionnel devraient lire Laurent Jenny, qui a travaillé au département de français moderne de l’université de Genève. C’est lui le plus clair. Je lui emprunte un peu de son travail.
C’est aussi l’autofiction en pleine période de « liberation sexuelle » annés 70 ! Une tentative assez difficile de “décompresser” sa libido par l’intermédiaire des mots écrits sans trop controler. Ce sont les grands débuts de Philip roth et de Woody Allen. Doubrovsky vit aux Etats Unis.
L’epsace libidinal est la nouvelle frontière littéraire aux Etats Unis. Le nouveau territoire à conquérir.
Mais on voit aussi, dans l’œuvre de Doubrovski et dans celle d’Angot, l’aveu d’une détresse, et convertir cette détresse existentielle, évidemment, en or pur littéraire. Un moi souffrant se cogne contre les murs.
Il y a au départ immense souffrance, (l’idée de l’inceste chez Angot, la mère abusive chez Serge Doubrovsky) mais cette frénésie de libération libidinale, et veut métamorphoser en acte d’écrire est un peu une naïveté. Une croyance assez enfantine dans la puissance de délivrance orgasmique écrite.
Le résultat est décevant dans ses effets littéraires chez Serge Doubrovsky. En lisant les textes de ces deux autofictifs, (j’inclus Angot) on trouve une rumination sombre et de balbutiement, un écoulement, un débagoulage, un tourbillon répétitif, une espèce de machine à laver en rotation de fantasmes qui ne blanchissent pas beaucoup. On lit une espèce de transe et de divagation en rotation, un grincement d’effort à la fois pathétique et un peu vain. Des gémissements, des tourbillons, des abimes, de fanstastiques aventures du moi bien monotones. Une espèce d’affairement fébrile, quelqu’un nous parle à longueur de pages et nous sommes enfermés dans le compartiment ou dans le cabinet du psy.
Et chez Angot, une dérive vers un Moi “pipeolisé “et faussement délirant.
Mais rien n’empêche de penser que surgira quelqu’un qui, à la suite de Philip Roth (lui a déjà largement labouré sur la voie autofictive dans son bricolage romanesque si intelligent autour de la notion des Moi divisés et des obsessions sexuelles comiques) fera de son autofiction un chef-d'oeuvre.
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